Les gestes de ma mère 

- Projet personnel, 2019-2023



Les gestes de ma mère n’est pas un projet sur le handicap, sur la diminution. Il cherche à combler une perte de gestuelle, compenser un manque d’intimité lorsque l’environnement médicalisé est transposé à la vie domestique. Il s’agit de transgresser le statut des objets censés faciliter une forme de retour à la vie normale qui, paradoxalement, sont des rappels saisissants de la condition du malade retourné à son domicile. C’est une étape de transition complexe, tant elle signifie à la fois un état curatif — les pathologies, l’âge, la convalescence ou les séquelles ne sont plus ou pas encore contre-indiquées avec la vie à domicile — et à la fois rappelle constamment une incapacité partielle, une autonomie relative, une différence avec les autres habitants du foyer.

Le projet s’insère dans cette faille subtile dont les limites sont difficiles à cerner. Il s’agit d’opérer une intervention homéopathique en proposant une adaptation douce, personnelle et profondément sensible à un ensemble de situations ordinaires qui dépassent le domaine médical et les pathologies et dans lesquelles le patient, l’ex-patient — comment le nomme-t-on — est en permanence confronté et rappelé à son état de capacité partielle. Il s’agit de trouver l’essence des gestes perdus, les gestes de la vie de tous les jours, ceux qu’on ne fait plus seulement qu’en exercice de rééducation. Par extension, certains sens ne sont plus convoqués ou stimulés.

Ces objets paramédicaux qui envahissent la maison, dans leur vocation louable de faciliter la vie des convalescents, ont capitulé sur leur potentiel rééducatif, et ont abandonné l’espoir promis du retour à la vie d’avant. Ils ont cessé de faire faire ces tâches du quotidien, alors pourtant qu’ils sont souvent des vecteurs d’acceptation de sa condition et de rééducation intuitive, tant ces gestes usuels sont profondément ancrés.

- La Fraise



Le repas est un moment animé, un rituel quotidien du foyer mais aussi un rituel familial et social, l’occasion de multiplier les invités et de célébrer des moments spéciaux. C’est un rituel de convivialité et de partage qu’il est presque impossible d’interrompre pour demander de l’aide. De par la
codification des gestes et des traditions qui le composent, le repas exacerbe les différences pour ceux qui, convives ou hôtes, ont recours à des ustensiles et vêtements distincts. Et parmi les objets existants dont le projet fait état, le bavoir est un exemple symptomatique de ceux qui rendent presque impossible l’acceptation de soi et de sa condition. En voulant faciliter la prise du repas, il met à mal une capacité quasi primaire qu’est celle de manger proprement. Le bavoir, de par sa dénomination, est aussi infantilisant que nécessaire, il touche à la dignité. Il est donc indispensable de se détacher du mot pour se détacher de sa signification.
Les fraises — dont il existe plusieurs déclinaisons dans le cadre du projet — est un système qui prend la forme d’un plastron imperméable pensé pour s’attacher à une chaîne, un collier ou au foulard noué que l’on porte déjà autour du cou.
Elles s’inspirent des fraises historiques, objets d’apparat qui naissent au XVIème siècle et désignent un col ajouté au vêtement ; accessoire qui a une fonction d’attribut social. C’est à la fois un objet d’élégance mais aussi un objet déclinable, personnel et appropriable.

Contrairement au bavoir, la fraise ne requiert pas de se défaire de ses accessoires ou de ses bijoux, elle s’en empare et les amplifie en leur attribuant un nouvel usage. Le plastron se fait et se défait comme un bijou, se lie à des objets personnels et intimes et devient un accessoire qui évolue au fil du temps avec celui ou celle qui la porte.

- La Grappe 



De la condition physique, une relation exclusive, inéluctable et presque insaisissable s’installe entre le fauteuil médicalisé et son occupant. Il devient un nouveau meuble dissonant du paysage domestique, une assise vouée au confort qui crie sa différence. Bien qu’exclusif, il se veut suffisant et universel, là où
certains préféreront le bois à la mousse, d’autres le cannage au rembourrage.

Habituellement, les dossiers en rideaux de billes de bois prennent place sur les sièges des voitures. Leur usage favorise une bonne circulation sanguine et une meilleure respiration du dos, tout en donnant une sensation de massage qui réduit les oppressions lombaires.
Comme les conducteurs lors des longs trajets, les personnes en situation de handicap, même partiel, sont souvent amenées ou ramenées à la position assise pour de longues durées.
La grappe se décline aussi dans une version plus mobile, qui se porte sur les épaules et qui peut s’adosser à n’importe quelle chaise de la maison, en fusionnant avec ce pull qu’on laisse toujours traîner au dossier — au cas où un coup de froid se présenterait.


- Les poires-bananes




Lorsque notre mobilité est diminuée, que quitter le domicile se raréfie, un ensemble de choses que l’on porte habituellement sur soi devient superflu. Dans un quotidien dédié aux soins, ces choses se perdent, et avec elles des gestes intimes qui font la personnalité de l’individu : un bijou, un mouchoir, des clés de maison…
Les vêtements sont choisis pour être enfilés facilement, pour leur confort mais sont souvent dépourvus de poches. Les poires et bananes sont des poches mobiles, qui se portent à la ceinture, en bandoulière, ou à la ceinture du fauteuil médicalisé et offrent des refuges aux mains et aux choses essentielles. Elles ont des ouvertures faciles, sans fermeture-éclair. Historiquement, les poches étaient déjà des éléments à part entière, compensant leur absence sur les robes et les jupons.
Le projet invite à réintroduire ces habitudes, à s’autoriser l’inutile et permettre la satisfaction d’avoir toujours sur soi et chez soi ses clés de maison.

- Le verre



Lors des scènes chorégraphiées du repas, les verres sont des vecteurs de gestes et d’élégance, codifiés et accoutumés à des boissons spécifiques. Avec eux on trinque, on boit, on remplit, on vide, on ressert. La tenue du verre et son usage deviennent alors une gestuelle à part entière qui accompagne toutes les étapes du repas.
Les verres adaptés existants, en plastique, aux bases solides et colorées pour rester repérables et stables préviennent des chutes intempestives et de la fragilité inhérente aux verres usuels.

Il s’agit de faire du verre adapté un verre inclusif, un allié de celui ou celle en difficulté, un verre qui ne cherche pas la distinction avec ses pairs autour de la table.



Le verre inclusif conserve les propriétés de stabilité, de résistance aux chocs, sa facilité de préhension tout en ré-injectant les codes du repas usuels : le verre à pied pour le vin, le verre rond pour l’eau, etc. Il facilite l’usage mais reste didactique : faire tomber permet d’apprendre, tenir en équilibre permet de rééduquer, boire seul permet d’accroître l’autonomie.

- La cuillère



Lors des scènes chorégraphiées du repas, les verres sont des vecteurs de gestes et d’élégance, codifiés et accoutumés à des boissons spécifiques. Avec eux on trinque, on boit, on remplit, on vide, on ressert. La tenue du verre et son usage deviennent alors une gestuelle à part entière qui accompagne toutes les étapes du repas.
Les verres adaptés existants, en plastique, aux bases solides et colorées pour rester repérables et stables préviennent des chutes intempestives et de la fragilité inhérente aux verres usuels.

Il s’agit de faire du verre adapté un verre inclusif, un allié de celui ou celle en difficulté, un verre qui ne cherche pas la distinction avec ses pairs autour de la table.



Le verre inclusif conserve les propriétés de stabilité, de résistance aux chocs, sa facilité de préhension tout en ré-injectant les codes du repas usuels : le verre à pied pour le vin, le verre rond pour l’eau, etc. Il facilite l’usage mais reste didactique : faire tomber permet d’apprendre, tenir en équilibre permet de rééduquer, boire seul permet d’accroître l’autonomie.